J’ai honte d’être un homme

 

Hallucinant toutes ces histoires de viols, d’agressions sexuelles, de violence non dénoncées contre nos femmes, nos filles, nos mères, nos sœurs. Ces histoires sorties du placard suite à l’affaire Jian Ghomeshi et qui déferlent présentement dans les médias sociaux tel un véritable tsunami déclenché par la création des mots-clic #BeenRapedNeverReported, par Sue Montgomery et Antonia Zerbisias, du Toronto Star, et  #AgressionNonDenoncee, par la Fédération  des femmes du Québec. 

On le sait que ça se passe tous les jours, que ça se passe tout le temps, que ça se partout sur la planète. On sait que ça arrive à une femme sur trois au cours de sa vie. On sait  que ça arrive parce qu’un homme de l’entourage de ces femmes,  qui un mari, un frère, un cousin, un voisin, un ami de la famille, un collègue de travail, parfois même le père, celui qui devrait être pourtant le protecteur suprême de sa fille, ne peut contrôler une pulsion sexuelle maladive. Il y a aussi tous ces inconnus qui, à la manière de bêtes fauves, sautent sans prévenir sur la première venue dans un sentier mal éclairé, une ruelle déserte ou une automobile stationnée à l’écart. Et c’est sans parler de ces militaires qui profitent de leur pouvoir démesuré pour brutaliser et violer les filles et les femmes de leurs ennemis.

On le sait ou on pense le savoir, mais jamais on a l’impression que la professeure qui nous enseigne, que la collègue de travail que l’on côtoie quotidiennement, que l’amie avec qui l’on partage des moments privilégiés depuis toujours, que la journaliste dont on lit régulièrement les articles, font partie de ces femmes qui ont vu leur existence bouleversée par ces sordides agressions.

Dans ma jeunesse j’ai travaillé en milieu hospitalier et j’étais entouré de femmes. Jamais je n’ai pensé que le tiers des femmes à qui je parlais, des infirmières, des techniciennes, des préposées, des médecins, avait potentiellement été agressée. Jamais! Certes, on n’en entendait pas parler comme c’est le cas aujourd’hui et on n’avait pas conscience de l’ampleur du problème. Aujourd’hui, grâce aux médias sociaux, on réalise que le problème est endémique. Dites-vous que si vous travaillez dans un bureau ou il y a une centaine de femmes, vous parler à tous les jours à l’une ou l’autre des 30 ou 35 qui ont été ou vont être agressées. Ça n’a aucun sens!

On le sait mais on ne le réalise pas, car ces femmes, pour la très grande majorité, gardent le silence et… souffrent en silence. L’affaire Ghomeshi et le tsunami qui s’en est suivi nous rappelle que c’est encore et toujours difficile pour ces femmes de dénoncer leurs agresseurs. Le système de justice, pour s’assurer « sans l’ombre d’un doute » que les victimes n’avaient pas donné leur consentement ou n’avaient pas provoqué la pulsion sexuelle de l’agresseur par un décolleté trop plongeant ou une jupe trop courte, les agressent à nouveau avec des questions plus avilissantes les unes que les autres. Qui veut porter plainte dans ces conditions? C’est un enfer qui en remplace un autre!

Peut-on espérer que ça change, ici à tout le moins? Dans d’autres sociétés, on sait qu’il va falloir probablement encore quelques siècles avant qu’il y ait une certaine progression du statut de la femme. Mais ici, au Québec, dans une société qui est reconnue comme étant « un peu plus égalitaire », peut-on espérer que ce tsunami laisse des traces positives?

En terminant, quelques mots sur les hommes qui sont victimes d’agression sexuelles. Ils sont beaucoup moins nombreux que les femmes et un grand nombre d’entre eux l’ont été à l’époque des écoles et des orphelinats dirigés par des communautés religieuses. Je me souviens personnellement d’un frère (des écoles chrétiennes) aux mains baladeuses, lorsque j’étais en quatrième année du primaire, que personne ne voulait aller voir de peur de se faire tasser dans un coin. Il y a aussi les « mononcles » vicieux. Il y en avait un dans ma famille. Il m’a taponné à quelques reprises lorsque j’avais 5-6 ans. . Il profitait du fait qu’il devait passer par ma chambre pour aller à la salle de bain. Loin des regards de mes parents… et de sa femme, il me surprenait dans mon sommeil. Je me réveillais, tout bizarre, et me tournais sur moi-même pour le forcer à retirer sa main baladeuse. Heureusement, ça n’a pas été plus loin. J’avais même complètement oublié les attouchements de ce pervers jusqu’à ce qu’un événement me fasse remonter en mémoire des images que j’avais totalement oblitérées. On ne s’en rappelle pas, mais c’est profondément incrusté en nous.  C’était en 1999. J’avais 47 ans lorsque je me suis rendu compte que je n’en avais jamais parlé à personne, même pas à mes parents. À l’époque, je ne comprenais pas réellement ce qui m’arrivait. Je ne savais pas ce que signifiaient les agissements de cet oncle que, par ailleurs j’aimais bien (comme on aime un oncle). Ce que je me rappelle, c’est que j’étais très mal à l’aise et que je n’aimais pas les farfouillages du mononcle.

Même si ça peut être considéré comme une agression sexuelle, ce qui m’est arrivé n’est rien comparé à ce que des femmes subissent à tous les jours. Ça ne m’a pas laissé de trace, pas de blessure, et pourtant, je n’en ai jamais parlé à personne, sauf à ma conjointe, lorsque les images du mononcle vicieux me sont revenues en mémoire en 1999. Ça me gêne, au moment d’écrire ces lignes, de dévoiler cela à tous ceux qui vont lire ce billet. Imaginez ce que doivent ressentir les femmes (et aussi les hommes) qui dévoilent qu’elles ont vécu le viol et la violence, la véritable agression qui modifie l’existence à tout jamais. Ça doit être un véritable calvaire. C’est facile à comprendre que la majorité de ces femmes aime mieux garder le silence et, malheureusement, ne pas porter plainte.

Aujourd’hui, j’ai honte d’être un homme 

 

Serge Lepage

6 novembre 2014

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