Les fonctionnaires ont le dos large, mais assez c’est assez!

 

Depuis bien longtemps, les hommes et les femmes qui œuvrent au sein des organismes publics,  ceux que l’on appelle les FONCTIONNAIRES, ont très mauvaise presse : ils sont trop payés, ils se pognent le beigne, ils ont trop de vacances, trop de congés de maladie, ils ont un régime de pension trop généreux, une sécurité d’emploi trop grande, bref ils sont en poste à vie, même s’ils sont paresseux et incompétents! On a tous en tête l’image du fonctionnaire qui se fait prendre à dormir dans son camion et certains journalistes du type pourfendeurs se plaisent à nous le rappeler ad nauseam. Récemment, un courriel envoyé par une chef d'équipe de Revenu Québec qui quittait son emploi après 35 années de services a causé tout un tollé parce que cette chère dame avait accumulé près de 200 journées de maladie et beaucoup de journées de vacances, totalisant 13 mois de préretraite payé à plein salaire. Oh! Horreur! Se sont exprimé de nombreuses personnes. Ce sont les payeurs de taxes qui paient les vacances de « Mme Bonheur » comme s’est empressé de la surnommer le chroniqueur-blogeur du Journal de Québec et du Journal de Montréal, Michel Hébert, dans un billet digne des meilleures émissions de radio-poubelle dans lequel il assimile les chefs d’équipe de la fonction publique provinciale au « niveau le plus bas de la hiérarchie… quasiment le ras du sol, le linoléum »[1].

En ce qui me concerne, ce ne sont pas les chefs d’équipe qui sont au ras du sol, mais bien le billet fielleux de Michel Hébert, billet qui n’atteint même pas le « ras du sol ». Et comme il le dit si bien lui-même, « ce n’est pas l’austérité qui donne la nausée.... ».

Les gens de son espèce ne cessent de dire que les fonctionnaires sont des paresseux trop payés. Ce n’est certainement pas le cas de cette chef d’équipe, car si elle a pu quitter avec autant de journées payées, c’est parce qu’elle ne les a pas utilisées durant sa carrière. Faisons un petit calcul. Disons que durant ses 35 années de service, cette fonctionnaire a disposé de 420 jours de congé maladie [2](12 x 35) et de 680 journées de vacances payées (moyenne de 19,43 x 35), ce qui totalise 1100 journées. Comme elle a quitté avec, disons 200 journées de congé maladie et 80 journées de vacances accumulées, pour un total de 280 (13 mois), elle n’a utilisé annuellement que 6,3 jours de congé maladie et 17,1 journées de vacances. 

Oui, je sais! C’est quand même beaucoup! Mais, si je ne me trompe pas, les employés du Journal de Montréal – j’imagine que ça doit être à peu près la même chose au Journal de Québec – ont droit à 8 journées de congé maladie payées par année et les journées non utilisées sont payées au salarié annuellement[3]. Où est le problème, alors? Payé annuellement ou à la fin de la carrière, qu’est-ce que ça change? De même, les vacances annuelles au Journal de Montréal vont de 3 semaines payées après la première année de service, jusqu’à 6 semaines payées après 16 années. Où est donc le problème, M. Hébert, vous et vos collègues de travail avez plus de vacances payées que les fonctionnaires provinciaux. Et c’est la même chose au fédéral où il faut 28 années de services pour avoir 6 semaines de vacances[4]! 

On ne peut pas dire que la chef de service retraitée a exagéré durant sa carrière et c’est tout en son honneur! Elle a travaillé pendant 35 années et s’est fait payer ce qui lui était dû en vertu de sa convention collective. Il n’y a aucune honte là-dedans. 

Oui, les fonctionnaires ont d’excellentes conditions de travail que, malheureusement, beaucoup de gens n’ont pas. Mais faudrait-il que tout le monde travaillent comme dans certaines entreprises du secteur privé où il n’y a que le profit qui compte, où les salaires payés dépassent à peine le salaire minimum, où il n’y a pas de congé maladie, pas de fond de pension, peu de vacances, peu ou pas de sécurité et où les conditions de travail ne seraient pas acceptables s’il n’y avait pas la Commission des normes du travail? Veut-on vraiment un modèle ou les salariés gagnent des salaires de misère alors que les patrons empochent des montants faramineux et se retirent avec des primes dans les sept chiffres?

Je sais, je sais, j’exagère. Il y a un entre-deux, certainement. Mais je suis tellement exaspéré par ce que j’entends et lis sur les fonctionnaires que j’ai beaucoup de misère à me retenir. Ça fait longtemps que je rumine le présent billet et cette histoire de « Mme Bonheur » a fait sauter la marmite. 

Oui, il y a des choses que notre société ne peut plus se permettre parce qu’il y a eu de l’exagération dans le passé. Mais cette exagération n’est certainement pas due exclusivement aux fonctionnaires et aux syndicats qui ont négocié leurs conditions d’emploi. Les employés de la fonction publique, ce sont des techniciens, des agents d’administration, des spécialistes des ressources humaines, des analystes, des scientifiques, des ingénieurs, qui sont là pour offrir des services aux citoyens et qui essaient de le faire de la meilleure façon possible, malgré tout ce que les gouvernements leur imposent comme tracasseries. Et ça ne diminue pas. Au contraire, la situation empire généralement à chaque fois qu’un nouveau gouvernement est élu, qu’il y a un remaniement ministériel, une réorientation stratégique (entendre politique), une modification des lois, des règlements, des règles de procédures administratives, sans oublier les changements de sous-ministre, de sous-ministres adjoints, de directeurs généraux, etc. À chaque fois, les employés doivent s’adapter à ces changements coûteux en temps et en argent, même si ceux-ci ne sont que des manœuvres politiques, qu’ils manquent de vision, qu’ils n’ont pas toujours du sens ou qu’ils vont contre leurs valeurs. À chaque fois, ils doivent jeter à la poubelle des programmes qui parfois ne faisaient que commencer à bien fonctionner, ou pire qui fonctionnaient très bien. Il leur faut écrire de nouvelles procédures, de nouveaux manuels, monter et donner des formations, se remotiver, expliquer aux différents interlocuteurs avec lesquels ils interagissent que ça ne fonctionne plus comme avant, que tel ou tel programme a été abandonné, qu’un nouveau va voir le jour dans un temps x, qu’il va y avoir des délais, etc. 

Un bel exemple, à mon avis, de pertes d’argent et de temps dont les fonctionnaires se passeraient bien : les changements apportés aux ministères pratiquement à chaque fois qu’un nouveau gouvernement est élu au provincial. Prenons le cas du ministère de l’Environnement créé en 1973 par Robert Bourassa. Depuis 1994, ce ministère a été remanié à de multiples reprises. Il est devenu le ministère de l’Environnement et de la Faune (1994), redevenu le ministère de l’Environnement (2001), puis le ministère de l’Environnement et de l’eau (2002 – avec un ministre d’État et un ministre délégué), encore une fois le ministère de l’Environnement (2003), le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (2005), le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (2012) et enfin le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (2014). Et c’est ainsi pour de nombreux autres ministères. Ça peut sembler anodin, mais ces changements impliquent la réécriture des missions, des objectifs, des mandats et des organigrammes, l’écriture de nouvelles descriptions de tâches, la création et l’abolition de postes de fonctionnaires et le déménagement de certains d’entre eux, incluant la réorganisation des locaux, le transfert des lignes téléphoniques, des connections informatiques, la création de nouveaux logos, l’impression de nouvelle papeterie, la repeinte des véhicules ministériels, etc. Tout cela prend du temps et coûte cher, temps et argent qui n’est pas consacrés à la prestation des services aux citoyens, mais à la réorganisation administrative. Cela se produit aussi au fédéral, quoique les ministères ne soient pas remodelés à chaque élection comme au provincial. Mais il y a quand même des réorganisations. Au début des années 2000, il y a eu des réorganisations tellement profondes à Agriculture Canada et Environnement Canada que ces deux ministère ont fonctionné au ralenti pendant des mois, sinon quelques années. 

Si on remonte dans le temps, les plus vieux (comme moi) se souviendront de la décision du gouvernement Pearson d’unifier les forces armées canadiennes, en 1968, les intégrant sous un seul Chef d’état-major, dotant tous les militaires d’uniformes similaires et envoyant les recrues non pas là où elles voulaient servir (armée, marine, aviation), mais là où les besoins se faisait sentir. Ainsi, un gars ou une fille voulant servir dans la marine pouvait se retrouver dans l’infanterie! Cela a créé des remous incroyables, particulièrement dans la marine (j’étais réserviste dans la marine à cette époque). Il y a eu des contestations de toutes parts, la démission d’Amiraux, mais rien n’y fit, les fonctionnaires ont dû se plier aux directives du ministre Paul Hellyer. Je ne dis pas que tous les aspects de cette restructuration étaient mauvais, mais elle allait trop loin, était à l’encontre de l’essence même de ce que sont des forces armées. Hellyer n’était pas un militaire, mais un homme d’affaires. Il était donc beaucoup plus qualifié pour remodeler des forces armées que des généraux ou des amiraux de carrière qui avaient passé 25 ou 30 années dans les Forces! Dans la suite de cette transformation, le ministre Cadieux, sous le gouvernement Trudeau, a décidé de réduire le nombre de militaires de 110 000 à 80 000, de mettre au rancart le porte-avions Bonaventure, qui venait tout juste d’être rénové, ainsi que de nombreux chasseurs CF-5. C’est finalement sous le gouvernement Mulroney que des uniformes distincts ont été redonnés aux membres des Forces canadiennes. 

Plus récemment, mais dans la même veine de décisions douteuses, on n’a qu’à mentionner les mots hélicoptères, sous-marins, chasseurs F-35 et frégates ou, au niveau provincial les mots fusions et défusions, et ceux qui suivent l’actualité vont comprendre que des sommes astronomiques sont dépensées indûment parce que les gouvernements prennent des décisions qui sont renversées, modifiées ou annulées par le gouvernement qui suit. Ce manque de vision, cette politicaillerie de bas étage se traduit par des pertes qui totalisent des centaines de millions de dollars, millions qui proviennent des poches des contribuables et qui sont dépensés inutilement plutôt que de servir à la prestation des services aux citoyens. Je ne dis pas qu’aucun fonctionnaire n’a de rôle dans ces mauvais calculs et ces pertes monétaires, mais ceux qui participent à l’élaboration de ces projets doivent se plier aux directives qui viennent du cabinet du ministre et ces directives sont difficiles à contester. Les sous-ministres et leurs adjoints les transmettent aux directeurs qui les font suivre dans la chaîne de décision. Les gens qui veulent garder leur poste les transmettent sans rechigner.

Je sais que personne ne versera de larmes si je dis que même dans la fonction publique, tant au provincial qu’au fédéral (je connais moins le municipal, je n’en parlerai donc pas), les conditions de travail se sont dégradées au cours des dernières années. Année après année, des postes sont coupés, des budgets réduits, pour des prestations de services à une population croissante. Ne nous surprenons donc pas si les services que l’on souhaite recevoir des instances gouvernementales prennent de plus en plus de temps à être livrés.

Au fédéral, plus de 20 000 postes ont été abolis au cours des dernières années et ça ne s’est pas toujours fait d’une façon aussi élégante qu’on pourrait le croire. Je connais un chef de service qui a vu son équipe se faire démanteler sans qu’on lui demande son avis ou même qu’on lui en parle. Il l’a appris lors d’une réunion en même temps que ses employés. Comment pensez-vous que cet homme qui avait près de 30 années de service s’est senti? Une atmosphère d’inquiétude s’est installée partout et le nombre de personnes en état d’épuisement a grimpé en flèche. Mais là encore, on a voulu faire croire à la population que les fonctionnaires fédéraux prenaient plus de 18 journées de congé de maladie par année, ce qui est mathématiquement impossible, car ils n’en ont que 15 par année et même s’il est possible de les accumuler, elles ne sont pas remboursés lors de la retraite. Le chiffre incluait les congés que les employés prenaient à leurs frais! Mais comme toujours, le coup a marqué et je suis certain que dans la tête des payeurs de taxes, c’est ce chiffre qui a dû être retenu, même si les syndicats ont tenté de corriger le tir par la suite. 

Dans ma carrière, j’ai travaillé dans toutes sortes de domaines : dans des hôpitaux, dans le secteur privé comme consultant, pour des firmes-conseil, puis pour le gouvernement fédéral (17 années). Dans tous les cas, j’étais la même personne; je faisais mon travail avec le même intérêt, le même dévouement, le même enthousiasme… jusqu’à ce que mes conditions se dégradent. En 2006, j’ai vécu un épisode d’épuisement professionnel et j’ai dû m’absenter du travail pendant près de cinq mois. Jusqu’à ce moment-là, je n’avais pris qu’une journée de maladie par année, en moyenne, si bien que ma banque de congé m’a permis de me remettre sur le piton sans trop d’inquiétude. Après être revenu au boulot, je n’ai repris que 2 ou 3 journées de maladie par année. Et c’est la même chose pour la très grande majorité des collègues que j’ai côtoyés. Bien sûr, il y a toujours des individus moins dédiés à la tâche, moins compétents, mais c’est partout pareil. La fonction publique n’en a certainement pas le monopole et avec ce qu’on voit depuis une dizaine d’années, je dirais que la proportion d’incompétents est probablement plus grande au niveau des dirigeants gouvernementaux que de celui des fonctionnaires. Pour atteindre des niveaux hiérarchiques élevés dans la fonction publique, il faut de l’expérience, des diplômes, des compétences avérées, mais le grand patron, c’est-à-dire le ministre, peut sortir de n’importe où et être n’importe qui. Ça peut être une personne dotée d’une grande intelligence et d’une grande compétence, mais ça peut être aussi une personne totalement inefficace, pour ne pas dire incompétente, dans le domaine où son premier ministre l’affecte.

Oui, les fonctionnaires coûtent cher aux payeurs de taxes, mais les gouvernements aussi coûtent cher. La démonstration n’est plus à faire. Oui, la fonctionnaire décriée par le journaliste Michel Hébert a quitté avec 13 mois de préretraite, mais pour moi il y a pire : les primes qu’Yves Bolduc a perçues, d’abord pendant qu’il était député de l’opposition (215 000 $ - 27 000 $ qu’il aurait remboursé à la RAMQ), puis lorsqu’il a quitté son poste de ministre de l’Éducation (155 000 $), soit un total de 343 000 $, sans compter le salaire d’omnipraticien qu’il a aussi perçu lorsque député de l’opposition (151 000 $). Il avait alors, semble-t-il, tout le temps de pratiquer la médecine. C’est à se demander si le travail d’un député provincial, payé près de 90 000 $, n’est pas comparable à celui d’un conseiller municipal de village. Enfin…

Selon un article de Réjean Parent, un confrère de Michel Hébert au Journal de Montréal, le salaire moyen d’un fonctionnaire provincial est de 40 000 $ par année[5]. C’est donc dire qu’Yves Bolduc, le député, puis le ministre, a reçu en primes (je ne compte pas les salaires) l’équivalent de 8,6 années de salaire d’un fonctionnaire. Alors, dites-moi, M. Hébert, est-ce que le ministre Bolduc mérite tout cet argent? Ça aussi, ce sont les payeurs de taxes qui doivent l’assumer.

P.-S. Au moment même où j’écris ces lignes, les démissions en série au conseil d’administration du CHUM, à Montréal, font la manchette du Téléjournal de 23h00. Il paraîtrait que Gaétan Barrette, le ministre de la Santé et des Services sociaux, ferait de l’ingérence dans les affaires du méga-hôpital. Non, je n’y crois pas!

 

Serge Lepage

8 mars 2015



[1] http://www.journaldemontreal.com/2015/03/04/mme-bonheur-prend-conge

[2] http://www.spgq.qc.ca/utilisateur/documents/Convention%20collective%20SPGQ%20-%20fonction%20publique%202010-2015.pdf

[3] https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/ententes_negociees/2013-01-A/Journal_de_Montreal_-_Division_Sun_Media_et_Imprimerie_Mirabel_inc.__Montreal_.pdf

[4] http://www.tbs-sct.gc.ca/pubs_pol/hrpubs/coll_agre/sp/sp-fra.pdf

[5] http://www.journaldemontreal.com/2015/03/04/encaisser-son-salaire-nest-pas-un-crime

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